Abdu Rimb, c'est l'anagramme (imparfait) de Rimbaud,
je crois avoir lu quelque part qu'il se l'est appliqué à lui-même, à son époque abyssinienne. Ou bien je l'ai inventé, ou bien c'est Luc Perez, un ami vidéaste qui m'hébergeait alors quand j'étais à Paris... En tout cas, j'en ai fait le titre en 1989 d'une tragédie musicale, écrite à l'instigation d'un alors jeune comédien-musicien, Emmanuel Depoix, qui se voyait bien interpréter Arthur après le Baudelaire splendide qui m'avait fait le rencontrer.
On avait rêvé haut, à l'époque : 1,4 MF de budget pour 4 comédiens dont un danseur, un chœur d'une demi-douzaine de gaillards au moins, des musiciens, un grand décor conçu par un copain décorateur, Alexandre Heyraud... J'avais mis dans ma pièce deux rôles féminins importants pour entourer Arthur, et là encore on visait fort : pour la mère Rimb, on a démarché rien moins que Monique Mélinand, Suzanne Flon et Maria Casarès. Et le meilleur, c'est qu'elles furent toutes partantes ! Mon plus beau souvenir, c'est le coup de fil que Maria Casarès m'a passé : chez moi, un samedi en début d'après-midi ! J’en revenais pas ! ... "C'était Maria Casarès ! Maria Casarès !", je criais à ma femme…
Enfin, on s'est fait bien balader, Depoix et moi. On cherchait les sous nous-mêmes, et on en a trouvés pas mal, pour deux jeunots. Presque la moitié. On s'y voyait, on voyait le spectacle. On commençait des heures à échaffauder avec un metteur en scène, on avait obtenu le soutien financier (maigrelet, mais bon...) de la délégation aux Célébrations Nationales du ministère de la Culture, un bel accord de coproduction avec la Maison de la Culture de Saint-Etienne, et un publicitaire lyonnais qui s'était improvisé notre catalyseur à sponsors nous invitait sans arrêt à son agence pour faire des parties de ping-pong sur la table de sa salle de réunions... On aurait bien signé les premiers contrats, mais par prudence on avait voulu déléguer toute cette gestion à un frais émoulu d'une école de production. C'est là que le bât blessa.
Non pas qu'il fût un escroc, partît avec la caisse. Nenni. J'ai connu ça d'autres fois, mais là non : il fut tout simplement trop frais émoulu, et nous aussi de ne l'avoir pas remarqué. On avait plus de la moitié des fonds et des tas de pointures à courir avec nous, mais il a pris peur : pas question de signer avant qu'on ait tout réuni... Le temps inexorable avançait, nos coproducteurs demandaient évidemment du ferme, qu'on commence, qu'on répète. On n'a pas commencé.
C'est 10 ans après qu'un petit miracle est advenu. Fin septembre 1999. Depoix m'appelle, ça faisait bien quatre ans qu'on s'était pas parlé :
"Tu vas peut-être m'en vouloir, voilà : je me suis permis de faire travailler ta pièce par des jeunes en atelier d'écriture. Juste des morceaux, à l'origine. Et puis de fil en aiguilles ils ont voulu en savoir plus, et maintenant ils sont tous étudiants et j'ai adapté le texte, je les ai mis en scène, et Abdu Rimb sera joué tout le mois de décembre au théâtre de Nesle... T'es pas fâché ? "
Tu penses comme je risquais de lui en vouloir ! C'est le plus beau cadeau qu'on puisse faire à un auteur, ça, non ?
(là-dessous tu peux Abdu par bouts ou regardant l’affiche, remarquer que Reda Kateb y a fait ses débuts)