A l'ouverture une violente lumière rouge éclaire tout le décor. Seuls les musiciens sont sur scène, ils jouent un progressive jazz tranquille, ponctué de temps à autre de légères stridences. Bruit de ressac doux en ambiance. | |||
ACTE 1Arthur (off) : Comme je descendais des Fleuves impassibles, J'étais insoucieux de tous les équipages |
le Bateau Ivre |
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/Arthur entre. Le bruit de ressac se fait plus présent. Arthur déambulera dans une hâte émerveillée, guidé par les "éléments". Le musique va crescendo/ Arthur : Dans les clapotements furieux des marées, La tempête a béni mes éveils maritimes. /la lumière devient pourpre, le ressac se fait plus léger/ Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures, Et dès lors, je me suis baigné dans le poème /fin du ressac ; lumière bleue soudaine/ Où, teignant tout à coup les bleuités, délires /du décor de fond qui semble se mettre à osciller lentement sourdent des grincements de plus en plus profonds/ Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques, J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies /la musique atteint son intensité maximum. Vitalie et Isabelle entrent à jardin, vont à la table où Isabelle installe un écritoire, tandis que sa mère ouvre les volets/ Arthur, continuant comme si de rien n'était : J'ai suivi, des mois pleins, pareilles aux vacheries /Vitalie s'assied et prend sa broderie dans son sac. La déambulation d'Arthur se limite maintenant au côté Harar de la scène. La musique decrescendo devient fond musical/ Vitalie : Note Isabelle /elle dicte/ : Mon fils, à la ligne, nous n'en pouvons plus de te savoir par monts et par vaux. Voilà déjà un mois que nous n'avons rien eu de toi, virgule, et ta dernière lettre de Gênes en Italie annonce ton départ pour l'Egypte, Point d'exclamation. Que fais-tu maintenant ? Songe que nous sommes bien loin de toi, ici où il fait un froid glacial à cette époque /elle s'interrompt/ Ah! Je n'en peux plus d'attendre toujours après lui ! Tu finiras, ma chère Isabelle. Isabelle : Oui maman, repose-toi. Vitalie : N'oublie pas de lui rappeler ses devoirs envers notre Seigneur. Isabelle : Bien sûr maman. /la musique s'arrête/ Arthur : J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides Off Arthur : Je me porte mal : j'ai des battements de cœur qui m'ennuient fort. Mais il vaut mieux que je n'y pense pas. (…) cependant l'air est très sain ici. |
Arthur aux siens |
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Arthur : J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses /retour du fond musical sonore/ Off Arthur : J'ai cherché du travail dans tous les ports de la Mer Rouge, à Djeda, Souakim, Messaouah, Hodeidah (…) J'ai été malade en arrivant à Aden. Je suis employé chez un marchand de café, où je n'ai encore que sept francs. Quand j'aurai quelques centaines de francs, je partirai pour Zanzibar… |
Arthur aux siens |
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/deux éthiopiens entrent, à qui Arthur désigne des sacs de café qu'ils emportent/ Isabelle, terminant la lecture de la lettre de mai : "Donnez-moi de vos nouvelles." Et c'est signé "Rimbaud, Aden-camp". Vitalie : Quel fils est-ce donc ?! Le voilà qui nous écrit pour la première fois depuis des mois, et le drôle ne se rend pas compte du chagrin qu'il nous cause ! De quand est-ce daté ? Isabelle : Le 17 août 1880… il y a trois semaines… Qu'il est loin ! Vitalie, agacée : Oui, oui… Bon, réponds-lui, moi je n'y tiens pas. Isabelle : Tu as tort maman, tu te fais du mal en voulant le punir. Et puis, je suis sûre qu'il n'y a pas pensé, dans sa nouvelle vie… ça a dû être si éprouvant de chercher du travail dans un pays qu'il ne connaît pas… Vitalie : Sans doute, sans doute… Mais c'est bien lui qui l'a voulu, n'est-ce pas ? Arthur, se relisant : La Maison a fondé une agence au Harar, une contrée que vous trouverez sur la carte au sud-est de l'Abyssinie. On exporte là du café, des peaux, des gommes (…) Il va sans dire qu'on ne peut aller là qu'armé, et qu'il y a danger d'y laisser sa peau dans les mains des Gallas /arrivé en fin de relecture il ajoute, écrivant / – quoi que le danger n'y soit pas très sérieux non plus. |
Arthur aux siens |
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Mes appointements sont de 300 francs par mois, en dehors de toute espèce de frais, et tant pour cent sur les bénéfices. /quatre éthiopiens apportent des fusils, des petits sacs, des brides, qu'Arthur inspecte et fait ranger/ Vitalie : Ecris, Isabelle : Aujourd'hui Dimanche 5 Mai 1881. Arthur, mon fils, nous sommes sans nouvelles de toi depuis plus d'un mois. Point. Ces silences répétés sont insupportables… Mets un point d'exclamation ici. Si tu ne nous écris que pour te faire envoyer des livres, ce qui est très ennuyeux compte tenu des commandes à passer et à vérifier, des avances d'argent souvent importantes et des comptes à tenir, je préfère ne plus m'en occuper. Et quelle manie Isabelle : Pas si vite, maman Vitalie : quelle manie as-tu, aussi, d'acheter tout ce qu'il y a de plus cher ? Aujourd'hui c'est le jour du Seigneur, virgule, et je ne peux que souhaiter que Dieu aie pitié de nous, virgule, et qu'il me donne la force et un enfant plus aimant et attentionné. A la ligne. Ma santé est remise, mais je vois bien que tu n'en as cure. Que te chaut en effet la santé et l'inquiétude de ta pauvre famille ? J'envie les gens qui n'ont pas un fils, comme moi, qui se promène aux cent diables et dépense des fortunes en achats de livres et de matériel moderne pour des soi-disant travaux qui ne rapportent jamais rien. Isabelle : Tu y vas fort, maman : c'est vrai qu'il dépense beaucoup, mais il sait sûrement où il va. Vitalie, en colère : C'est qu'il aurait beaucoup changé alors ! Arthur, tandis que les éthiopiens vont et viennent : Chers amis, vous êtes en été, et c'est l'hiver ici, c'est-à-dire qu'il fait assez chaud, mais il pleut souvent (…) Pour moi, je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l'inconnu (…) Je vais acheter un cheval et m'en aller. Dans le cas où cela tournerait mal, et que j'y reste, je vous préviens que j'ai une somme de 7 fois 150 roupies (…) que vous réclamerez, si ça vous semble en valoir la peine. |
Arthur aux siens | ||
/il se dirige vers le piano et, comme un souvenir inidentifié, chantonne ce qu'Isabelle avait chanté au premier acte/ Au gibet noir, manchot aimable, |
Bal des pendus |
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/les Ethiopiens sortent, Arthur continue de jouer/ Chère maman, je reçois ta lettre du 5 mai. Je suis heureux de savoir que ta santé s'est remise et que tu peux rester en repos (…) Hélas ! moi je ne tiens plus du tout à la vie ; et si je vis, je suis habitué à vivre de fatigue (…) Heureusement que cette vie est la seule, et que c'est évident, puisqu'on ne peut s'imaginer une autre vie avec un ennui plus grand que celle-ci ! Je reviens d'une campagne en dehors, et je repars demain pour une nouvelle campagne à l'ivoire. |
Rimbaud aux siens | ||
/il continue de jouer sur tout le dialogue suivant/ Isabelle : On dit qu'il s'est fait monter un piano. Il ne cesse de voyager, et la Société de Géologie a même publié récemment le récit d'un de ses voyages. Il travaille beaucoup, il doit être riche à présent ! Vitalie : Il n'en rend pas assez de grâces au Seigneur. Isabelle : Nous n'en savons rien. Je crois au contraire que le Seigneur l'éclaire. Vitalie : Dieu t'entende ! Il est vrai qu'avec le peu qu'il nous écrit, nous aurions bien du mal à nous faire une idée. Isabelle : Aussi, tes réponses sont toujours pleines de reproches |
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Le bateau ivre | ||
Isabelle : On dit qu'il est très estimé, là-bas, qu'il s'est fait une réputation de savant et d'honnête homme. Il est aimé des indigènes, les négociants européens le respectent. Il me manque. Voix off : Entre les soussignés M. Pierre Bardey, négociant à Aden, et M. Arthur Rimbaud, il a été convenu ce qui suit : M. Rimbaud s'engage à exécuter tout ce qui sera commandé ayant rapport aux affaires de son commerce (…) En échange M. Pierre Bardey accorde à M. Rimbaud un appointement de 150 roupies par mois pendant toute la durée de l'engagement (…) |
contrat Bardey/Rimbaud | ||
Arthur, qui abandonne le piano : J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, Presque île, ballotant sur mes bords les querelles |
le Bateau Ivre | ||
/retour au piano ; l'orchestre l'accompagne/ Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Libre, fumant, monté de brumes violettes, Qui courais, taché de lunules électriques, Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues J'ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles /il cesse de jouer, seul l'orchestre enchaîne/ Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, |
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/il plaque rageusement un dernier accord/ Je trime comme un âne dans un pays pour lequel j'ai une horreur invincible. |
Arthur aux siens | ||
Vitalie, tandis qu'Isabelle note : Arthur, mon fils, ta dernière lettre nous a beaucoup inquiétées, ta sœur et moi. Quand vas-tu enfin te reposer, et arrêter un peu toutes ces expéditions et ces fatigues… Allons, aide-moi Isabelle : incessantes ? Vitalie, après un geste de dépit : … toujours plus grandes, virgule, et injustifiées au regard de ce qu'elles te rapportent. Arthur, exaspéré : Je sais le prix de l'argent, et si je hasarde quelque chose c'est à bon escient ! |
Arthur aux siens | ||
Vitalie, dictant toujours : Repose-toi plutôt. Pourquoi ne pas venir nous rendre visite ? Arthur : Djami ! /Djami entre/ Penses-tu qu'un homme de trente-six ans, dans ma situation, puisse encore trouver une bonne épouse ? Djami : Bien sûr sahib Arthur : Naturellement, il faudra qu'elle accepte de venir vivre ici avec moi. Djami : Tu vas partir ? Arthur : Peu de temps, rassure-toi. Je fais une lettre à ma mère où je la prie de me renseigner sur le sujet. S'il s'en trouve une, eh bien! j'irais en France au printemps prochain disons, pour me marier. Pas avant, ça va bientôt être l'hiver là-bas, et il y fait un froid de loup. Et puis, nous avons le stock de dents d'ivoire à écouler. /il lui tend une lettre/ Tiens, tu la feras partir à la prochaine poste. Isabelle : Arthur, je prends la plume pour te dire notre joie de ta résolution. Maman est au comble du bonheur et ne trouve pas les mots. Nous préparons déjà ta venue, et tirons mille plans pour te recevoir, pour des promenades avec toi dans les environs et t'aider à trouver une nouvelle compagne. Il ne manque pas de bonnes filles ici, et il va sans dire qu'il y en aura certainement pour te suivre. Tu es, somme toute, devenu un excellent parti, et la vie au Harar présente bien des avantages pour quelqu'un habitué au rude climat de chez nous… Maman, tu es sûre que tu ne veux rien ajouter de ta main ? Vitalie : Certaine, ma fille. J'ai trop espéré que tout rentre dans l'ordre avec lui pour pouvoir y croire vraiment. Isabelle : C'est affreux ce que tu dis maman ! Vitalie : Ne crois pas ça : je me réjouis qu'il vienne, et je suis sûre qu'il le fera. Mais je suis une vieille femme à présent, et le jour autour de moi s'éteint. Mes prières ont la couleur de ceux que je rejoins. Si Arthur se marie enfin chez nous, il vaut mieux que ce soit toi qui t'en occupes. A mon âge, je ne veux plus servir que Dieu. Ce que j'espère, c'est qu'il me fera la grâce d'être présente au temps des retrouvailles. Isabelle : Oh maman ! Tu es merveilleuse ! Le Seigneur t'entende et t'exauce ! Vitalie : Va, ma fille, continue de meubler de projets le retour de ton frère ! Isabelle : Tu verras comme ce sera bon de le revoir ! Il doit être très bel homme, la maturité doit lui aller merveilleusement ! Nous ferons le tour de Charleville, nous le présenterons à nos amis… Comme il va être ému de revoir ses anciens camarades ! S'il reste assez de temps, nous Arthur, hurlant : Djami ! /il grimace de douleur. Djami entre/ Djami, il faut partir, vite ! J'ai trop mal ! La civière est prête ? Fais-la venir ! /Djami se retourne et fait signe aux trois autres serviteurs d'entrer. Ils chargent Arthur sur la civière et le cortège sort tandis que sur le fond du décor le film en noir et blanc d'un vieux vaisseau ondulant sur les vagues d'une tempête en papier mâché illustre le texte de Barbare qui défile – puis le cortège reparaît, précédé des musiciens et guidé par Isabelle et Vitalie. On dépose la civière près du lit et y installe Arthur. Tous les serviteurs sortent – restent Isabelle, Vitalie, et les musiciens qui jouent doucement/ Arthur, plus halluciné que souffrant : Voici ce que j'ai considéré en dernier lieu comme cause de ma maladie : (…) 15 à 40 kilomètres par jours de cavalcades insensées. Ça a débuté par un coup de marteau (…) sous la rotule, léger coup qui me frappait à chaque minute (…) Puis mes veines ont gonflé tout autour du genou. Je marchais et travaillais beaucoup, croyant à un simple courant d'air. Puis la douleur (…) a augmenté. (…) Je marchais toujours, quoique avec de plus en plus de peine |
Arthur à Isabelle |
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Isabelle : Tu n'aurais pas dû t'entêter Arthur : Le dessus du genou a gonflé (…) et la douleur secouait les nerfs jusqu'à la cheville et jusqu'aux reins (…) L'appétit se perdait, le sommeil aussi. En huit jours toute la jambe devint raide, complètement raide, et je ne pouvais plus aller aux lieux qu'en me traînant… Tu m'écoutes Isabelle ?! Tu entends ?! Isabelle : Continue, Arthur, ne t'arrête pas… /entre l'Autre, habillé en chirurgien. On installe un cadre sommaire sur lequel on tend un drap pour former un paravent entre la salle d'opération ainsi constituée et le public. On opère Arthur (bruits de scie) sur le monologue suivant/ Arthur, haletant : Fin mars, je résolus de partir. En quelques jours je liquidai tout à perte. Je me fis faire une civière couverte que seize hommes transportèrent (…) Le voyage fut atroce : le deuxième jour, je dus subir la pluie seize heures durant, étendu sans abri. Le soir, on étendait la tente au-dessus de moi à l'endroit même où on me déposait et, creusant un trou de mes mains (…) j'arrivais difficilement à me mettre un peu sur le côté pour aller à la selle sur le trou que je comblais de terre. /il hurle de douleur, maintenu par les deux femmes. La scie et la musique s'arrêtent. Le chirurgien pousse hors du "bloc opératoire" une longue et lourde masse molle, qui tombe sur le sol : la jambe d'Arthur/ Arthur, gémissant : cette douleur dans l'articulation se serait calmée facilement (…) si elle avait été soignée dès les premiers jours (…) C'est moi qui ai tout gâché par mon entêtement à marcher et à travailler. /le chirurgien ramasse la jambe et l'enveloppe dans un linge. Isabelle l'aide à rassembler ses instruments et à ôter le paravent. Il sort tandis qu'Isabelle va fermer le volet avant de retourner écrire à la table/ Vitalie : C'est fini, à présent. Arthur, ironique : Fini, oui, et bien fini. Tu vois l'état où je suis /il désigne sa jambe de bois appuyée à la table nuit/, incapable même de me servir de cette prothèse, qui m'a coûté 50 francs. Vitalie : C'est une dépense utile, elle te servira quand tu auras repris des forces. Arthur : A quoi bon ? Mon corps est plus mort qu'un arbre mort – je n'en suis plus à perdre mes feuilles… hop, déjà une branche ! Vitalie : Ne sois pas sinistre, Arthur ! Arthur : Sinistre ?... J'ai été trahi... victime d'une machination de la machinerie. Il y a de quoi être amer, il me semble. Vitalie : Le corps est une chose sainte, bien mieux qu'une simple machine. | |||
Arthur : Oh! pour le mien, on n'y touche pas !... Mon corps n'a jamais été autre chose qu'un véhicule ! Mais utile, et si fiable ! Si quelqu'un (…) me consultait, je lui dirais : (…) ne vous laissez jamais amputer. Faites-vous charcuter, déchirer, mettre en pièces, mais ne souffrez pas qu'on vous ampute. Si la mort vient, ce sera toujours mieux que la vie avec des membres en moins. (…) Plutôt souffrir un an comme un damné que d'être amputé. Voilà le beau résultat : je suis assis, et de temps en temps je me lève et sautille une centaine de pas sur mes béquilles, et je me rassois. Mes mains ne peuvent rien tenir. Mais les caresses, maman, les caresses !... Tu parles d'une chose sainte ? Eh bien moi, j'ai un corps amputé qu'on a jamais touché ! |
Arthur à Isabelle | ||
Vitalie : Qu'est-ce que tu dis ? Arthur: Caressez-moi ! Gardez-moi ! Vitalie, passant une main au front de son fils : Dieu te garde, Arthur. /Arthur presse la main de sa mère contre sa joue et sanglote/ Isabelle : C'est un pauvre garçon qui s'en va petit à petit (…) Point n'est besoin d'espérer, il ne guérira pas ; sa maladie doit être une propagation par la moëlle des os de l'affection cancéreuse qui a déterminé l'amputation de la jambe (…) Trompé par les médecins, il se cramponne à la vie. /elle se lève et va au chevet d'Arthur/ Il voudrait tant vivre qu'il demande n'importe quel traitement. (…) Son grand souci c'est de s'inquiéter de savoir comment il gagnera sa vie (…) et il pleure en faisant la différence de ce qu'il était voilà un an avec ce qu'il est aujourd'hui, il pleure en pensant à l'avenir où il ne pourra plus travailler, il pleure sur le présent où il souffre cruellement, il me prend dans ses bras en me suppliant de ne pas l'abandonner. |
Isabelle à sa mère | ||
Arthur : Isabelle… nous avons la même âme puisque nous sommes du même sang… Je t'en prie, aide-moi à me lever… /Isabelle, l'aide. Puis tandis qu'Arthur tangue et titube sur ses béquilles, elle se tourne vers le public et dit/ |
15/07/1891 | ||
Isabelle : Eveillé, il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel. (…) Ce qu'il dit, ce sont des rêves,- pourtant ce n'est pas la même chose du tout que quand il avait la fièvre. On dirait, et je crois, qu'il le fait exprès. |
Isabelle à sa mère |
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d'abord sentencieuse puis glissant jusqu'au délire de la douleur,Vitalie : Il faut préparer sa mort, sa propre mort. Il faut chaque jour joindre les mains et prier Dieu, et regarder sa tombe. Rien de plus important Isabelle, rien de plus grave, crois-moi. Nous y allons, nous y allons ! Regarde Arthur !... Rien de plus important qu'une tombe, je te le dis : nous vivons pour l'endroit tiède, la terre humide qui nous attend de toute éternité… Aussi, il faut être propre. La propreté, Isabelle, il n'y a que ça qui compte. Il faut la propreté, un lieu d'accueil, et l'énergie. Il faut entretenir quotidiennement le lieu d'accueil. La propreté ! Soigne-le, Isabelle, notre caveau ! Moi, je ne voudrais pas coucher à côté de fleurs sèches. Pensez-y mes enfants : j'ai horreur de la moisissure, la pauvreté… Tu m'entends Isabelle ?! Pauvre terre, ça n'est pas normal… Tu m'entends ? Notre tombe, c'est une maison. Votre père et moi n'avons jamais été d'accord là-dessus, ça l'a mené où ? Tu entends Arthur ? Il ne voulait pas soigner les cercueils, aérer, tu comprends ?... Mais ne t'inquiète pas, je suis là, je saurai bien m'occuper de ton cerc… Arthur, tu auras bien chaud, tu me crois n'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu fais Arthur, qu'est-ce que tu as ? Arthur : L'automne déjà!- Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine,- loin des gens qui meurent sur les saisons. L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme, au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié! Elle ne finira donc point cette goule, reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J'aurais pu y mourir… L'affreuse évocation ! J'exècre la misère (…) /entrée des musiciens jouant. Lentement tous les personnages vont former un demi-cercle derrière Arthur/ Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau (…) d'or agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit! Le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau!... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. |
Une Saison en Enfer | ||
/il se dirige titubant vers le lit, épuisé, s'y couche lentement –la musique l'accompagne diminuendo jusqu'au relais de la voix off/ Arthur (off) : Un lot : une dent / Un lot : deux dents / Un lot : trois dents / Un lot : quatre dents / Un lot : deux dents. |
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FIN |