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MEATNIGHT, la viande du Tage
- le scénario -

L'action se déroule à Lisbonne et dans la campagne environnante.

Séquence 1 : prologue en intérieurs

Deux actions se mêlent :

- une suite de plans décrivant une scène dans la vie du couple Valdes/Léna. L'action a lieu dans la cuisine de leur appartement.

- une suite de plans montrant l'abattage et l'équarissage des bêtes par un boucher. L'action a lieu dans un abattoir.

Léna, dont on ne voit d'abord que la main, est en train de hâcher des oignons et de la viande.

La caméra cadre ses yeux rougis par l'effluve des oignons, puis la montre en plans plus larges selon plusieurs points de vue.

Soudain une main se pose sur sa croupe : c'est Valdes. Sa "caresse" impromptue, brutalement mise en parallèle à l'image d'un crochet de boucher s'abattant sur une carcasse, surprend Léna qui se coupe, et jure en se tournant vers Valdes. Elle s'essuie l'œil d'un geste du poignet, et le sang de son doigt coupé macule sa pommette. Une "scène" d'une extrême violence va alors opposer les deux personnages, qui n'échangent qu'insultes dans un violent corps à corps, entrecoupé à l'écran de très courts plans d'abattage. Le comportement agressif de Valdes est néanmoins dominé par le sentiment d'érotisme que ses réponses à Léna trahissent. Léna est hors d'elle. La main du boucher arrache le cœur des entrailles d'un mouton.

Léna, calme, regarde par une fenêtre.

Valdes mange, à table. Il a l'air profondément dégoûté par ce qu'il mange. Léna est assise en face de lui. Valdes renifle son assiette; Léna lui demande ce qu'il a. "C'est infect !". Léna se jette sur lui, armée de sa fourchette. Il l'esquive, puis se bat avec elle. Ils s'insultent en diverses langues - des sous-titres, également en diverses langues, traduisent d'autres insultes. A des plans très rapides de la lutte entre les deux personnages se superposent encore des images de boucherie; les sons se superposent eux aussi.

Valdes déchire le corsage de Léna dont les seins sont projetés au regard de la caméra. Sur le visage de Léna se lit un profond plaisir. La main du boucher tranche les testicules d'un cheval.

Valdes regarde par la fenêtre ; il fume une cigarette. On entend un Fado

Séquence 2 : Intérieur jour. Appartement de Valdes.

A travers la fenêtre de Valdes, on voit la rue d'un vieux quartier de Lisbonne. Un coursier en mobylette vient se garer en bas de l'immeuble, puis regarde la façade en direction de la fenêtre. Sur la musique du Fado retentit une sonnerie. Valdes ouvre sa porte palière au coursier qui lui remet un paquet.

Valdes a posé le paquet sur la table de sa cuisine. Il l'ouvre à l'aide d'un couteau. A l'intérieur, il trouve la main droite d'une femme enveloppée dans un film plastique, ainsi qu'une petite boîte noire et une carte postale représentant la Flagellation de Piero della Francesca. Il ne parait pas le moins du monde ému. Il lit sur la carte :

Si ma fille vous intéresse ouvrez la petite boîte noire. Vous y trouverez le plan de montage et les pièces d'un objet amusant.

Valdes est en train de finir le montage d'une sorte de boussole, plan déplié devant lui sur la table. Le cadran porte juste, sur fond noir, les lettre N, E, S, W et une aiguille mobile. Valdes regarde l'objet un moment, s'assure du bon fonctionnement de l'aiguille par rapport au pôle en se déplaçant dans la pièce, puis appuie sur une sorte de remontoir. on voit, en arrière-plan, la main coupée posée sur la table. Au cadran, une main s'affiche, juste dans l'axe de la main coupée. Fondu au noir.

Séquence 3 : Intérieur nuit. Le bar à Fado.

Valdes est assis au zinc à côté d'une entraîneuse. Elle lui parle, mais on n'entend rien hors le chant d'une autre femme, sur scène, que Valdes regarde. On dirait Léna. Elle chante la chanson entendue chez Valdes.

Il demande : "Qui est cette fille?" L'entraîneuse, en cajolant Valdes, répond mais on entend toujours que le chant.

Un temps. Valdes n'a d'yeux que pour la chanteuse. Enfin la voix de l'entraîneuse devient audible. Dans un style littéraire mais très cru, elle philosophe sur son passé et la difficulté de faire rêver les hommes. Valdes ne l'écoute manifestement pas.

Puis elle tire une cigarette de son sac-à-main et demande du feu à Valdes. La voyant penchée en avant avec sa cigarette aux lèvres, il lui tend par erreur... la "boussole". A peine a-t-il appuyé sur le remontoir qu'une jambe apparaît au cadran.

Séquence 4 : Extérieur nuit. Rues de Lisbonne.

Noir : des pas rapides résonnent sur le pavé. Dans la rue sombre, Valdes, yeux rivés sur sa boussole. Parfois, il trébuche. Il croise des prostituées qui ressemblent toutes à Léna. Dès qu'il s'en approche, ce n'est plus elle, mais des filles, qui l'insultent. Il s'éloigne d'elles à moitié hagard, et chaque fois plus inquiet, affolé bientôt.

Quand il a ainsi rencontré une dizaine de filles, il est brutalement victime du croche-pied d'un mac, dont on aperçoit que la jambe et la chaussure (chaussure classique de mac, escarpin blanc et noir).

Valdes s'affale contre la bordure d'un trottoir, sur lequel glisse sa boussole, que la caméra suit. On entend rire, on entend des bruits de boucherie.

La lame d'un couteau à cran d'arrêt jaillit du poing du mac. Le cri d'une femme. La caméra fixe à nouveau la boussole, puis remonte au bras et au visage tuméfié de Valdes, tandis que s'éloignent les rires et les injures. Valdes revient à lui, tente d'agripper la boussole.

A sa place, sous ses doigts, une jambe de femme.

Valdes, assis au bord du trottoir, couvre la jambe de baisers. Il la nettoie à l'aide d'un mouchoir des trainées de sang que sa blessure au visage y a déposées. Puis il plie méthodiquement son mouchoir, reprend la boussole, et part avec la jambe sous le bras.

Il disparaît à l'angle d'une rue sur un air de fado qui vire au jazz.

Séquence 5 : Intérieur. Un amphithéâtre d'université.

Un accord violent de la musique accompagne l'apparition plein cadre de la tête d'un squelette. La voix magistrale d'un homme, un "professeur", égrène une sorte de cours d'anatomie, tendant à montrer que le squelette considéré est obligatoirement celui d'une femme. Au fur et à mesure que progresse son discours franchement maniaque, le champ s'agrandit, montrant d'abord le professeur sur son estrade, puis une poignée d'auditrices dans l'amphi : ce sont les prostituées rencontrées dans la rue par Valdes.

SÉQUENCE 6 : Intérieur mobile nuit. Dans l'ascenseur d'Eiffel.

La caméra revient au squelette. Un bruit d'ascenseur est venu se surajouter au discours du "professeur", ponctué une première fois par une plainte geignarde. Nous sommes dans l'ascenseur d'Eiffel à Lisbonne, où le professeur continue son "cours", relançant régulièrement l'ascenseur qui ne cesse de monter et descendre.

Pour appuyer ses explications anatomiques, il pointe le visage du squelette avec le même couteau à cran d'arrêt que le mac de la rue. La plainte se fait entendre encore une ou deux fois.

Le couteau du professeur insiste sur la pommette gauche du squelette : "la salope avait subi une opération de la face, toute la façade refaite !" - en surimpression apparaît rapidement le visage de Léna, dont le couteau taillade la pommette.

Cri de Valdes. Le professeur demande qui a posé une question. Une succession de plans serrés mélangent : des images d'abattoir, le visage sardonique du professeur, son doigt qui relance l'ascenseur, le visage et la main du squelette, la main de femme reçue par Valdes.

On entend la panique de Valdes, qui proteste en plusieurs langues : "je ne vous ai jamais demandé la main de Léna."

SÉQUENCE 7 : Intérieur nuit. Appartement de Valdes.

Pénombre. Sur la table de la cuisine, on aperçoit la jambe et la main coupées. La lumière s'éclaire : les deux objets grouillent de vermine.

Valdes entre dans le champ, nettoie scrupuleusement les deux objets avec ses mains. Il est de dos, on ne voit pas son visage. Lorsqu'il a fini, la caméra le suit jusqu'un grand congélateur, dans sa chambre. Il l'ouvre et y dépose les morceaux de corps, puis augmente la puissance du congélateur.

Les mains de Valdes sous le jet du lavabo. Il se les frotte énergiquement, puis se penche pour s'asperger le visage. En relevant la tête, il jète un regard machinal au miroir: sa joue gauche, estafilée, saigne légèrement. Il vomit d'horreur.

SÉQUENCE 8 : Extérieur jour. Rues de Lisbonne.

Le cadran de la boussole dans la main de Valdes.

Il appuie sur le remontoir. Sur un point du cadran, un bras se met à clignoter. Dans l'axe indiqué, au bout de la rue, le grand ascenseur d'Eiffel. Valdes se dirige dessus.

Il prend l'ascenseur, plein de monde, et contrôle sans cesse la boussole : le bras, à présent affiché au centre, est fixe. Valdes regarde les visages autour de lui, sort de l'ascenseur avec la foule. La boussole affiche toujours le bras. Il scrute les alentours, fouille les recoins. Rien. Il reprend l'ascenseur en descente et observe à nouveau.

Au moment où l'ascenseur arrive en bas, une main d'homme frôle la sienne et laisse tomber à ses pieds un sac de sport.

Valdes ne voit pas qui a fait ça, s'empare du sac en hâte, tente de repérer l'inconnu dans la foule qui s'échappe. Il est à la fois imprudent, allant en tous sens dans la rue pour retrouver l'homme, et, conscient de ce que contient le sac, il tente de rester discret. Il cesse rapidement une quête infructueuse, qui l'a menée dans la ruelle piétonne qui longe en montant les galeries commerçantes contrebas. Il reprend son souffle en se fondant à la foule qui grimpe sur la colline.

Valdes est assis à la table d'un bistrot sur la place en haut de la colline, le sac posé à ses pieds. Plongé dans ses réflexions, il ne lève pas la tête lorsque la serveuse, dont on voit l'ombre, vient prendre sa commande.

La serveuse (en portugais): vous désirez ?

Valdes: um porto

Elle s'en va, tandis qu'on entend arriver un tramway. Valdes, toujours absorbé, sort la boussole de sa poche et appuie machinalement sur le remontoir. Le bras est à nouveau affiché au centre, mais sur le pourtour du cadran clignote en plus un œil, dans l'axe du tramway qui entre dans le champ. Valdes se lève précipitamment en agrippant le sac, et fonce au tramway. Pendant qu'il paie son ticket et que démarre le tram, on voit ressortir la serveuse avec la commande. Perplexe, elle regarde le tramway s'éloigner : elle ressemble à Léna.

SÉQUENCE 9 : Intérieur mobile jour. Dans le tramway.

Musique piano jazz, style illustration sonore de muet tout au long de la scène suivante.

On entend aucun bruit d'ambiance. Valdes avance dans le tram, aux aguets. Il y a peu de monde. Il dévisage les passagers, parmi lesquels il reconnaît, habillées en ménagères ou en passantes lambda, les prostituées de la veille. Il regarde leurs yeux. Il scrute les paquets dans les mains ou les cabas de certains passagers. Au premier arrêt du tram, il est toujours debout. Quelqu'un vient de se lever qui a laissé un petit carton sur son siège. Valdes, pour s'en emparer, va l'air de rien s'asseoir à côté. Le carton baille, entr'ouvert: il est vide. Valdes, déçu et un peu honteux relève lentement la tête pour vérifier si celui qui est assis en face de lui ne s'est pas aperçu du manège.

Filmé en noir et blanc, ici comme à chacun de ses apparitions dans cette séquence, l'homme le regarde en souriant, l'air moqueur et complice. C'est un homme d'une cinquantaine d'années, vêtu sobrement mais sans rigueur excessive. Il porte une barbe poivre et sel. Son regard à Valdes est très appuyé.

Alternance de plans couleurs et noir et blanc du visage des deux hommes, celui du passager de plus en plus serré, yeux, nez, bouche avec cette barbiche, yeux encore, moitié des visages, cicatrice à la pommette de Valdes. Et soudain en flash dans les yeux terrorisés de Valdes, on revoit (en couleurs) le professeur, la barbe, la bouche du passager qui s'écarte en sourire sarcastique, c'est le même homme, il ouvre la bouche et sa langue pousse un œil entre ses dents.

Le visage de Valdes, d'abord effaré puis hostile.

Carton noir et blanc dessiné à l'ancienne : donnez çà qui êtes vous ?

Mais sur le siège face à lui, l'homme a disparu : il ne reste que l'œil, posé à même le tissu élimé, qu'un solide derrière de matrone en jupe écrase au moment où Valdes va pour s'en emparer. Il la regarde, effaré, mais, derrière ses lunettes à double foyer, le visage de la matrone reste impassible.

Carton noir et blanc : Horreur! Que faire à présent ?

Valdes regarde en tous sens autour de lui. Le tram arrive à un arrêt. Deux policiers vont monter.

Carton : La police! Tant pis pour l'œil, il faut fuir avec le sac!Bruits d'ambiance. Valdes est dans la rue; il regarde s'éloigner le tram.

SÉQUENCE 10 : Intérieur jour. Appartement de Valdes.

Le sac récupéré dans l'ascenseur est posé sur la table, La main de Valdes ouvre la fermeture éclair. Il en sort un bras complet de l'épaule à la main, et un second auquel il manque la main.

Le congélateur est ouvert. Valdes en a sorti la main et vérifie qu'elle correspond bien au bras amputé. Puis il range le tout dans le congélateur qu'il referme et caresse comme s'il s'agissait d'un animal familier.

SÉQUENCE 11 : Extérieur jour. Dans un parc à moutons à la tombée du jour.

Scène fraîcheur. Bêlements du troupeau, clochettes des colliers. Ouverture sur deux mains de femme caressant la tête d'un mouton. Le visage de Léna entre dans le champ (elle porte des lunettes noires) pour poser un baiser sur le museau de la bête.

Léna : il est beau, non? - (sous-titre en portugais)

Elargissement du champ. Valdes est au milieu du troupeau et la regarde rêveusement, un sourire aux lèvres.

Léna, en amorce au premier plan : quand j'étais petite, je ne voulais jamais qu'on les tue. J'en voulais au monde entier d'obliger mon père à faire ça - (en portugais sous-titré français, puis, en français sous-titré portugais:) Les vaches, je m'en foutais, ça n'a jamais été pareil...

Valdes : enlève tes lunettes, il fait tout noir.

Léna garde les siennes.

SÉQUENCE 12 : Extérieur nuit. Dans un chantier de démolition, au centre de Lisbonne.

Ça bêle toujours, en plus on entend des grincements et du vent. Caméra subjective. On avance dans des ruines. Bruit des pas dans les gravats. Arrêt. On regarde à gauche, puis à droite. Les bêlements s'estompent, remplacés par la respiration du "visiteur". On descend le "regard" jusqu'à rencontrer la main de Valdes tenant la boussole. Deux seins affichés au cadran indiquent la direction à suivre. On y va, là-bas, vers un coin d'ombre.

Les mains de Valdes fouillent un tas de pierres. Il y a du sang, beaucoup de sang frais. Une épaule blanche émerge rapidement du tas. Valdes, les mains rougies et poussiéreuses, déterre le buste d'une femme, cou tranché d'où le sang gicle encore, scié entre abdomen et nombril, des bouts de tripes dépassant un peu. Il range le tout dans son sac de sport.

Fermeture à l'iris.

SÉQUENCE 13 : Intérieur nuit. L'appartement de Valdes

Plan-séquence

Ouverture à l'iris sur le buste posé debout dans la baignoire de Valdes et douché à grande eau. A l'ouverture du plan on entend un meuglement de vache, puis immédiatement le bruit de la douche. L'eau rougie s'éclaircit lentement. Valdes sifflote. Quand l'eau est transparente, il arrête la douche (on aperçoit l'ombre de son bras sur le fond de la baignoire).

Tous les morceaux trouvés, chacun emballé sous film plastique, sont assemblés sur la table de la cuisine. On entend le fado chanté par la chanteuse du bar. Valdes, juché sur une chaise, prend plusieurs photos au flash du "puzzle" en cours, se contentant entre chaque photo de changer de posture, comme une espèce de danse sur un socle immobile. Au bout d'une demie douzaine de postures, la caméra se met à changer d'angles de prise de vue à chaque flash. Les plans serrent de plus en plus Valdes, et entre les cinq derniers, très courts, s'intercalent des images d'abattoir. Après le cinquième flash, le champ s'élargit et le plan se fige en photo.

SÉQUENCE 14 : Intérieur nuit. Le bar à fado.

Valdes, assis face à la scène, repose son appareil photo sur sa table pour écouter la fin de la chanson interprétée par Léna. D'abord immergé dans l'ambiance du bar, il n'entend et ne voit bientôt plus que Léna sur la scène. Lorsqu'elle salue, un plan ralenti de Valdes s'avançant entre les tables nous fait comprendre qu'il la rejoindra. Une étrange musique déjà l'accompagne...

SÉQUENCE 15 : Extérieur nuit. Rues de Lisbonne.

Sur la musique Valdes et Lena marchent côte à côte dans une ruelle sombre. Ils ne se parlent pas, ne se regardent pas, comme s'ils avaient toujours marché ainsi. Ils sont vus sous différents angles, jusqu'à ce que, au détour d'un fondu enchaîné, devant la vitrine d'un boucher Valdes prenne Lena dans ses bras et la fasse tourner, tourner en l'enlaçant.

Valdes attend Léna à la sortie du bar à Fado.

Dès qu'elle sort elle l'aperçoit, et a un léger mais net mouvement de recul. Elle reste figée un instant et lui s'avance vers elle. Alors elle se détourne ostensiblement et s'en va à pas pressés. D'abord hésitant, Valdes la suit.

Il suit Léna qui marche vite dans des rues qu'on a déjà vues. De temps à autre elle se retourne, l'air inquiet.

Léna et Valdes sont face à face dans une rue sombre. Ils se regardent. L'étrange musique en arrière-fond sonore.

Léna prend la main de Valdes qui a un léger mouvement de recul.

Sur un palier devant une porte qu'elle vient d'ouvrir, deux doigts de la main de Valdes effleurent les lèvres peintes de Léna.

SÉQUENCE 16 : Intérieur nuit. Dans une chambre.

Léna ouvre la porte de son appartement - est-ce le sien ou celui de Valdes ?

L'épaule nue de l'homme sur l'épaule nue de la femme; leurs ventres l'un contre l'autre; ils font l'amour et l'on ne voit que des parcelles de leurs corps unis : la jambe et le pied nu de Léna, ses orteils qui essayent de griffer le mollet de Valdes ; les lèvres de Valdes sur la paupière fermée de Léna. On entend que la musique, toujours la même.

Au fond du congélateur, la jambe coupée au genou de Léna, pied chaussé d'un escarpin.

Le visage de Valdes au-dessus de Léna est tendu vers l'orgasme.

Sur la musique on entend la sonnette.

Valdes va ouvrir : un enfant lui apporte des fleurs. On voit les fleurs que Valdes dépose dans le congélateur, sur les morceaux de corps empaquetés dans leur plastique couvert de givre.

Valdes se recouche, pose sa tête sur les fesses, le bassin découpé et sanglant de Léna. La musique hurle. En très gros plan le vagin de Léna accouche d'un œil. Valdes hurle le nom de Léna.

SÉQUENCE 17 : Extérieur nuit et aube. Une rue de Lisbonne et rive du Tage sous le pont.

Valdes sort de l'immeuble un bouquet de fleurs à la main. Il fait quelques pas, hagard, s'arrête, approche les fleurs de son visage et plonge dans le bouquet en invoquant "Léna" une fois encore. La musique reprend.

Valdes erre sur la rive du Tage à l'aube, le bouquet fané piteusement balancé au bout de son bras. Deux ivrognes l'interpellent : Eh, pédé, elles sont drôlement jolies tes fleurs! Ils rient grassement tandis que Valdes continue d'avancer. Il n'est manifestement pas sorti de sa mélancolie.

Une lame jaillit, Valdes est empoigné par l'un des hommes : Tu vas rire, pédé, regarde... On entend le bruit des voitures qui passent sur le pont au-dessus de leurs têtes, le rire immonde et l'on voit en plan très serré le visage de l'ivrogne, qui n'est autre que le professeur, le couteau dans la main prêt à frapper, puis le crochet d'un boucher plongeant dans une carcasse.

La main du professeur agrippe la main au bouquet de Valdes, lui arrache les fleurs et les jette à l'eau. Valdes, désolé, paniqué‚ les regarde flotter.

Qu'est-ce que t'attends, pédé, vas-y, vas les chercher ! Le professeur pousse Valdes dans l'eau.

Valdes tente de réunir toutes les fleurs et s'éloigne du bord en répétant le nom de Léna. Il s'agrippe à une bouée algueuse qui flotte ; c'est la tête de Léna, il l'embrasse, coule avec. Léna n'a qu'un œil.

Sous l'eau, Valdes et Léna nue s'enlacent. Le soleil pointe sur le Tage lorsqu'un clapot, une vague saumâtre rejette sur la rive quelques fleurs fanées.

FIN