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candidat directeur

SR, novembre 1997

C'est forcément pâté lourdingue, ça s'appelle une lettre de motivation, je l'ai écrite en 1997 en tête d'un gros dossier pour tenter ma chance à la direction d'une alors nouvelle institution culturelle lyonnaise. J'ai pas gagné tout à fait...

Les titres qui nous restent des fonctions que nous exerçons, s'ils peuvent dévoiler nos compétences, sont inaptes à parler des mobiles de nos actions. Pour cette raison, je voudrais tenter ici d'éclairer un peu mon cursus, à la marge de ce qui transparaît dans le "carnet de route" qui suit.

Je suis né à Lyon, je réside dans la région lyonnaise, et c'est ici, ou d'ici, que j'ai fait le choix de travailler. Je n'écris pas ça dans une quelconque intention xénophobe. Je n'ai aucun goût pour l'esprit de clocher et mes petites incursions de plume dans des revues italiennes ou new-yorkaises, l'amitié qui me lie à des personnages aussi trans-frontières que les plasticiens Anne et Patrick Poirier, le critique et penseur d'art Pierre Restany, l'écrivain (ex)dissident Alexandre Zinoviev, les travaux qui m'ont conduit à la rencontre de gens aussi divers que les regrettés Tinguely, Maria Casarès ou Alain Cuny, mais aussi les habitants des quartiers Nord de Marseille ou Manitas de Plata et sa "famille", témoignent pour le moins d'une certaine volonté d'ouverture. Non, si j'insiste sur mon enracinement lyonnais, c'est pour dire combien je mesure l'extrême difficulté qu'implique le choix de travailler à Lyon, comme sans doute assez généralement en province, pour quiconque entend vivre de l'expression artistique, que ce soit comme créateur, comme interprète, comme technicien ou comme producteur. Les tentations de s'expatrier sont nombreuses.

La première tâche que je me fixe, si vous m'accordez votre confiance, sera d'allumer aux Subsistances la voix de quelques sirènes concurrentes.

Ne pas pouvoir vivre de la seule expression artistique, fut-elle pluridisciplinaire, a aussi quelques avantages, heureusement. L'adversité force à la parade, obligeant tant à l'invention qu'à aimer les palliatifs qu'on s'invente. Le désir d'écrire et la nécessité que j'en éprouve, alliés à mon obstination de rester lyonnais envers et contre tout, m'ont ainsi amené dès la fin de mes études à fréquenter le monde de la publicité, d'abord côté agences.

Dans son premier livre, Jacques Séguéla, publicitaire alors inconnu du grand public, s'échinait à démontrer que tout mène au monde de la publicité. Sans doute. Je voudrais être, pour ma part, le modeste témoin que la pub mène à tout.

1985 : heureux mariage de mes pôles d'intérêt, les fonctions de directeur de la communication à la Maison de la Culture de Saint-Etienne (aujourd'hui devenue L'Esplanade) allaient m'initier trois ans durant à la vie d'une importante institution culturelle et aux arcanes des relations qu'elle se doit d'entretenir avec les collectivités territoriales dont elle dépend. C'est ainsi que j'ai eu la chance d'aider la municipalité stéphanoise de l'époque à "récupérer" auprès du Ministère de la Culture une importante subvention de fonctionnement annuelle qui lui avait été supprimée cinq années plus tôt. C'est ainsi que j'ai conçu (mais pas réalisé, j'en suis incapable) le tout premier système de gestion informatique de la Maison (nous étions en 1986), mis en place un service de relations aux collectivités, participé à l'organisation des premières et deuxièmes rencontres nationales sur "l'image numérique" (comme on appelait alors ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d'images de synthèse) et fomenté une expérience de télévision alternative longue durée (un mois d'émissions) quelques temps avant la "libération" de la diffusion télévisuelle.

Ces éléments de savoir-faire, acquis en collaboration avec une équipe qui permit à la Maison de la Culture de tripler son nombre d'abonnés en quatre saisons, devraient trouver aux Subsistances un terreau à faire fructifier.

Après cette période de près de trois années où mes capacités professionnelles avaient pu s'enrichir au service de la culture, j'ai ressenti le besoin impérieux de mieux séparer en pratique mes deux pôles d'intérêt, la communication et l'expression artistique.

Côté communication, je me suis spécialisé comme concepteur-rédacteur en travaillant avec des agences comme RSCG Lyon, PLM, Publicis, intervenant tout naturellement sur les dossiers culturels (j'ai, par exemple, participé avec PLM au lancement de la Villa Gillet en concevant la plaquette d'inauguration : "Rhône-Alpes, la Région avec un grand Art") puis sur des dossiers plus industriels. Lauréat national d'un concours d'annonce lancé par le magazine L'Expansion et l'agence RSCG Paris, j'ai accepté avec joie la récompense offerte mais, fidèle à mes principes, décliné l'invitation de "monter" travailler à Paris. Sans mérite particulier toutefois, car mon registre d'interventions dans le secteur de la communication s'était largement épanoui : création d'un cycle de formation pour l'Université Lyon 2, piges pour des magazines culturels ou de communication, puis pour le journal Libération, jusqu'à une intervention comme consultant pour la Région Rhône-Alpes, qui allait me valoir quelques temps après de travailler durablement pour cette collectivité.

Côté expression artistique, je me suis engagé dans l'écriture tous azimuts, écrivant à la demande du metteur en scène Robert Fortune et pour l'Opéra de Nancy une nouvelle version des dialogues de l'opérette Rose-Marie, travaillant avec plusieurs réalisateurs sur des scénarii vidéo, rejoignant le comité de rédaction de la revue Verso (qui a fêté cette année ses 20 ans d'existence en région lyonnaise au service de la poésie), publiant de ci de là des textes dans des revues littéraires ou philosophiques, co-fondant le groupe de création poétique sonore Ecrits/Studio et réalisant en son sein et avec le soutien logistique de la Villa Gillet et du GMVL une demi-douzaine de pièces sonores, enregistrant dans ce cadre un CD-audio qui est devenu une référence dans le petit monde de la poésie sonore et nous a permis d'être diffusés dans la France entière ainsi qu'en Suisse, en Belgique ou à Montréal. C'est à cette époque aussi que, suite à un travail vidéo réalisé à la demande de la Fondation Cartier, je commençai de m'immerger vraiment dans un compagnonnage amical avec quelques uns des éminents acteurs de la création plastique nommés plus haut.

J'ai bien conscience de ce que mon parcours peut paraître sinueux, voire extravagant. En le posant ainsi noir sur blanc, je veux croire qu'il témoigne surtout d'une véritable boulimie d'expériences et de rencontres. J'aime au-delà de tout voir agir les hommes, comprendre les ressorts qui animent leur action, et construire avec eux des chemins de traverse entre nos champs d'intérêt et d'activité. Ma candidature d'aujourd'hui s'inscrit dans le droit fil de cette passion synergique, enrichie de toutes les "ficelles" que m'ont enseigné chacun des projets que j'ai conduits qu'ils aient ou non abouti ("on apprend autant de ses échecs que de ses victoires"), chacune des équipes dont j'ai fait partie ou que j'ai animées à la conquête de ces projets, chacune des démarches (et il en faut!) que j'ai dû entreprendre pour avancer, pour perdre, pour gagner, pour rebondir. De la Maison de la Culture de Saint-Etienne, où j'ai tissé la première trame des relations de cet établissement avec le mécénat d'entreprise, à la négociation avec les instances de Beaubourg pour financer la post-production d'un film sur Tinguely qui ne s'est jamais fait, de la production pour la Région d'une vidéo d'une heure en collaboration avec Haroun Tazieff à la modeste illustration textuelle d'un catalogue du peintre Alain Pouillet, je retrouve cette passion d'échanger et de convaincre, ce même plaisir d'aller à la rencontre des autres et d'essayer de servir le mieux possible les causes auxquelles je crois.

Oui, servir. Il y a deux manières de conduire sa "carrière", comme on dit : servir, ou se servir. Les premiers maîtres que j'ai eu en publicité comme en action culturelle ont su, pour mon bonheur, calmer les ardeurs du jeune homme ambitieux que j'étais, lui montrer la joie profonde qu'on éprouve à écouter, à patienter, à apprendre, pour mieux orchestrer son travail et sa vie. Dans la drôle de carrière que je mène, au contact insidieux des strass et des fausses lumières médiatiques, leur leçon vaut encore pour moi comme un précepte. Ils m'ont ouvert le chemin, qui seul compte, vers cette sérénité toujours à conquérir, et sans laquelle il n'y a pas de rencontres possibles, pas d'autorité, pas d'œuvre. C'est aussi dans cet esprit que j'entends mener les Subsistances. Au service d'objectifs définis en commun, pour les acteurs du tissu culturel local et avec tous ceux qui pourront l'enrichir, quelle que soit leur taille dans la parade "institutio-médiatique". Et surtout loin des mises en scène vaniteuses du pouvoir qui me serait confié.

Je passerai rapidement sur les six dernières années d'une activité plus que jamais transversale et pluridisciplinaire, qui m'ont d'abord conduit, par le biais de la collectivité régionale, à la rencontre du monde du tourisme, du sport et de l'environnement en Rhône-Alpes, puis à la direction de la communication de l'Agence régionale pour l'environnement (Envirhônalpes), sous la houlette d'un autre maître en modestie, Alain Jeune. Nouvelle équipe à diriger, nouveau challenge, que la prudente anticipation de la Région sur les rigueurs de la loi Sapin est, hélas, venue interrompre en plein essor. J'ai néanmoins été appelé à aider au repositionnement de l'actuelle Agence régionale pour l'énergie et l'environnement, mais l'essentiel de mon activité professionnelle depuis trois ans se concentre sur la création vidéo :

Je travaille également avec une agence artistique, l'Université Lyon 2 et un centre d'accueil basé près d'Annonay à la mise en place l'été prochain d'une "université-spectacle" en Vivarais.

Enfin, j'ai le redoutable bonheur d'être depuis deux ans et demi le premier adjoint de ma petite commune de résidence, et le président de son syndicat intercommunal d'assainissement.

Il y a deux conditions essentielles à la réussite d'une structure comme les Subsistances : sa meilleure adéquation possible avec l'attente des publics et du milieu artistique local ; sa capacité à convaincre rapidement les institutions (collectivités, média, milieux professionnels de production et de diffusion). Pour satisfaire à ces deux conditions, il faudra mettre en œuvre d'un côté une grande capacité d'écoute des individus et des groupes sociaux constitués autour de projets artistiques, de l'autre une aptitude à "parler la langue" de chacune des disciplines dans nos échanges avec leurs institutions de tutelle. Il faudra aussi, nécessairement, savoir inventer des chemins de traverse afin d'échapper sans cesse au domaine confiné des milieux spécialistes, qui auraient tôt fait de transformer les Subsistances en une Super-Institution, aussi figée que pluridisciplinaire.

J'espère que ce dossier saura vous faire partager mon enthousiasme à encadrer et à "performer" ce projet, et vous convaincre de mes capacités à servir l'aventure des Subsistances.