
Le questionnaire de Ravella
mai 2002
- Patrick RAVELLA : Qu'est-ce qu'être écrivain ?
- Serge RIVRON : Je ne sais pas, mais ça a sûrement à voir avec l'idée d'écrire pour être lu.
- RAVELLA : En quoi la définition que tu viens de donner ne te correspond pas ?
- Serge R. : En ce qu'elle élude la question. J'ai horreur d'éluder.
- RAVELLA : L’enfance ? Exister depuis quand ? Ecrire depuis quand ?
- Serge R. : Cette interview commençait bien, voila qu'à la troisième question ça risque de tourner poncif. Je n'aime pas les poncifs, mais je peux quand même dire que j'écris du plus loin que je me souvienne.
- RAVELLA : Serge RIVRON, un provocateur ou un sentimental ? Un paresseux ou un bourreau de travail ? Un mégalo imbu de lui-même ou un timide qui doute ? Une bête de sexe ou un ascète ?
- Serge R. : Je ne crois pas être tellement sentimental, ni paresseux. Pour le reste, je te laisse à tes oppositions.
- RAVELLA : Beaucoup d’écrivains courent après la publication. On a parfois l’impression que tu la fuis, que tu n’écris que pour les amis. Pour te protéger des déceptions ? Pour une autre raison plus complexe, plus profonde ?
- Serge R. : C'est que je suis d'abord un lecteur, avec une vraie mystique de la relation au texte et à l'écriture. Pas question pour moi d'encombrer à toute vitesse les rayons surchargés des libraires, de publier comme on se torche, et là où tout le monde se torche. C'est de la timidité mégalomane, sûr. De l'ascétisme textuel. Pour ce qui est des déceptions, elles sont tellement inhérentes à l'acte d'écrire que je ne vois vraiment pas en quoi le fait de ne pas précipiter ses écrits pour être publié une fois par an permettrait de s'en protéger. Je n'écris pas pour être publié, mais pour fouiller le monde et essayer d'inventorier notre relation au réel. Avec, oui, une certaine mystique de la vérité. A l'opposé de ce qui a fait vogue à un certain moment, où il était de bon ton de dire "j'écris pour me débarrasser et je publie pour débarrasser mes tiroirs", j'aurais tendance à dire qu'écrire c'est chercher à s'embarrasser. Etant effectivement aussi un grand timide, je ne vois pas pourquoi j'aurai quelque prérogative étant écrivain à chercher à embarrasser les autres de ce qui m'embarrasse moi. C'est la raison pour laquelle j'écris effectivement pour mes amis, ceux dont je suis sûr et, c'est la seule raison d'une publication, pour ceux que je ne connais pas encore. Ils ne sont pas si nombreux que ça, je suppose, et ils ne m'attendent pas. C'est déjà beau qu'ils me lisent !
- RAVELLA : La place du malentendu dans la réception d’une œuvre.
- Serge R. : Elle est évidemment énorme, et elle devrait pourtant être minime. C'est parce que bien peu de lecteurs savent lire...
- RAVELLA : Il t’a fallu plus de dix ans pour écrire un livre comme Crafouilli mais ton livre sur la Russie, tu l’as écrit en quelques semaines. Commentaires ? (peut-être sur le thème de l’accélération/décélération, du temps heurté de la vie même).
- Serge R. : J'ai effectivement mis quinze ans pour écrire Crafouilli, parce que j'y avais trouvé une liberté d'écriture dont il m'était difficile d'imaginer faire un livre. Le truc curieux, alors que j'étais persuadé de l'impubliabilité de ce texte, c'est que c'est un éditeur plutôt austère et religieux qui m'a proposé de le publier. Et puis j'ai écrit en à peine deux mois Octobre russe, en étant persuadé de l'évidence de sa publication : mon éditeur l'a refusé en trouvant que je m'y descendais moi-même de ma légende, et pour le moment, comme il était le seul éditeur de France à savoir que je suis légendaire, aucun autre n'a accepté ce livre. C'est le temps heurté de ma vie même, quoi...
- RAVELLA : Avec Crafouilli, tu inventais un monde, et presqu'une langue. Octobre russe, c'est la suite ?
- Serge R. : Non, le seul point commun au deux, si on veut, c'est le côté "galerie de portraits", parce que ça correspond sans doute à ma façon de percevoir le monde. Mais Octobre russe, c'est plutôt du "brut de réel", la chronique d'un séjour que j'ai fait en Russie, en octobre dernier, le plus vrai possible, sans maquillage. C'est un extrait des petits scripts qui sont offerts par notre vie quand on la regarde de près, des tas d'histoires auxquelles notre quotidien ne prête pas garde et qui, à l'occasion d'un voyage, par exemple, nous sautent aux yeux.
- RAVELLA : l’écriture peut aider à se sortir de cette question pénible de la vieillesse, de la mort ?
- Serge R. : moi, c'est plutôt la chair qui m'intéresse.
Cet entretien a été publié en juin 2002 dans le n°201 de la revue Bloc Note.