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Le Prêcheur

extrait publié avec l'aimable autorisation des éditions les provinciales

Ce faisant, le Prêcheur mitonnait. C'est étrange animal, qu'on recense pour la prime à compter d'environ l'an 250, ou 300, on ne sait, ce Prêcheur. On en fait l'état d'un homme déjà âgé, fleurant la barbe longue, l'haleine chargée, le chicot franc jaune. Son arbre le descend tantôt de Jehan, tantôt du savantissime laboir entrevu plus avant, autrement d'Aménophis, ou de Josip avant son accident. C'est joviale fantaisie, ce que. Descend de poudre et d'escampette. La plupart des traités l'escamote subtilement. Ils redoutent, en somme. Non nous. Des légendes en font le fils d'un fourbisseur des ateliers de la Reine de Saba, mentionnons. On le donne pour Isaac en personne, le levain d'Abraham. Mentionnons encore. On le carbonise sous Frangipane 1er, lors de l'infernal Bûcher. Abdul Al Hazred en parle dans son Traité de la Fantasmagorie. Ailleurs il aurait inspiré les Riches Heures du Duc de Berry. Lovecraft le tenait pour l'un des sept démons du culte de Chtulu. Toujours est qu'il appert aux encoignures de ce temps, réveillé, en pleine forme, et ce serait indigne entourloupe de l'entasser sous le boisseau. Encore que sur un bon siècle il se tient entièrement coi. Tapi. Il mitonne. On n'en parle plus.

Les Crafouillis paufinaient la langoustine. Après l'incandescence des Moldaves ils avaient recouvré train-train autant qu'il soit, et entichés du crustacé furent peuple pêcheur, au marigot et les rivières attenantes qui giboyaient à profusion. Ils disaient langoustine sans doute pour l'écrevisse, mais nous n'avons point de parti. Il se pourrait aussi que leurs rivières fussent salées. Cela s'est vu. Le soir ils immergeaient leurs nasses en points connus d'eux seuls, qu'ils relevaient dès l'aube et parfois même toute la journée, tant il s'en trouvait, sauf aux périodes de reproduction qui étaient prohibées. Ils en pêchaient d'invraisemblables mines, et très experts à les attraper sans se faire pincer, ce qui montre. Échauffés, ils n'exportaient pas, se méfiant radicalement de l'étranger qu'ils repoussaient très en-delà des frontières par un rusé système de vigies et tout un bricolage de simulacres par les chemins contournants, pièges, fées, dragons en trompe-l'œil, bruits affolants dans les taillis, vraies vipères, tenailles, roues dentées, engoulevents, pédérastes, morpions, sarbacanes, morts-vivants, fourmis rouges, bûchers follets, fièvre jaune, marécages, poisons, mandragores, lutins, vampires et sables mouvants, qui firent pour long temps la réputation sorceleuse du Massif et de ses résidents.

N'exportant mie, aussi consommaient-ils moultement, et ce que pas, rejetaient en l'eau, pour le prochain ou un autre soir. On trouve numéreuses recettes, datant, pour consommer les langoustines : frites, en beignets de crevettes, sauce relevée, crues au citron, en accompagnement de poulet, pommes vapeurs, ou civet de lièvre. Parfois, brutalisant les langoustines en guise d'amidon, les matrones s'en pourléchaient un peu le guichet. Il semble toutefois que cette pratique restât marginale, et confinée aux cuisines où il n'est pas toujours serein de s'imprimer lestement la rondelle.

Mais mirons un instant les cuisines, voir un peu si le Prêcheur ne s'y émigre pas. Les cuisines étaient essentielles, immenses et gigantesques. Dès sept heures, la féminine engeance s'y retrouvait entièrement, moins quelques vieillottes trop usées et les infantes confinées qui faisaient autre chose, ailleurs. D'en dehors, d'énormes cheminées vomissaient l'écume d'odorantes fumailles qu'on repérait de loin, dedans reliées à des fourneaux en fonte de nos grand-mères, toujours lustrés d'abondance, trente à quarante fourneaux par salle. Transcharriées par charrois de paniers imposants et dévidées par moultes trappes, les langoustines se travaillaient à même le sol et pieds nus - car au fait on allait encore quasi toujours tout nu. Les langoustines étaient donc essorées fesses nues, décarapacées à mains nues, ou jetées le plus souvent dans une mixture entières et nues. Le sol des cuisines était en granit poncé et facile d'entretien, bien qu'outrancièrement glissant et nu. Les sauces étaient liées dans des saucières, les ingrédients alignés nus sur de grandes tables en noyer fleuraient bon. Et çà c'était aimables bavardages, rires fusés, gentianes, bleuets, comme en tout lieu de femmes, tandis qu'on ne mimait cependant pas, plumant, poilant, écalant, pelant et triant, veillant la braise et la cuisson, goûtant, salant, et se contant moqueuses la dernière pêche à Mimile, les embarras gastriques des anonymes de ces dames, les petites faiblesses conjugales, les déficiences privatives, comme en tout lieu où s'assemble des femmes. Néanmoins leurs clabaudages lassaient, s'il faut croire, car l'histoire n'en restitue pas, comme en tout lieu où ne sont pas les hommes. C'était bon temps, coulée facile. Il éclate pour l'instant que le Prêcheur jamais n'y frottât ses nougats.

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