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Marie

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(...) 8 janvier 1959 : déjà huit mois que Serge est là-bas, dans la chaleur et la folie du sang... "Serge Montalte, mon Serge, mon mari… Et notre petit qui ne vient toujours pas... Est-ce qu'il reçoit toujours mes lettres ?... Il y en aura peut-être une de lui au courrier aujourd'hui..."

Sur le trottoir du cours Tolstoï où l'a déposée le trolley rouge, Marie avance lentement, son ventre lui pèse. Il est une heure de l'après-midi, le vent est froid comme le ciel... "Marie Montalte" : elle aime bien répéter son nom de femme, celui que lui a donné Serge, juste avant de partir. Elle devrait être mère déjà, elle le sera ce soir peut-être, ou demain, mais elle rentre chez ses parents, 127 cours Tolstoï dans ce quartier pas très joli de Villeurbanne où elle a passé son enfance. Elle rentre chez ses parents, qui lui ont gentiment proposé de l'héberger depuis début décembre pour attendre l'enfant, et aussi après, les premiers quinze jours, un mois peut-être... on a besoin d'être entourée après une naissance, surtout pour le premier. Sa mère sera sur place, ce sera bien pratique. Elle rentre chez ses parents parce que son Serge est en Algérie, à la guerre.

Elle ne sait pas ce qu'il y a dans son ventre : une fille, un garçon, peut-être des jumeaux ? Elle sait seulement qu'elle voudrait que ça sorte, un petit homme de préférence, évidemment, c'est sa première grossesse. Elle est un peu inquiète, mais elle ne le montre surtout pas. Elle a assez à faire de l'inquiétude des autres, ses parents, sa sœur, les voisins, des amis. Avec les jours qui passent à ce que rien n'arrive, ils sont de plus en plus nombreux à gentiment la plaindre un peu, ma pauvre, alors et ce bébé ?

C'était normalement pour Noël, elle aurait bien aimé que ça se déclenche un peu avant. Ce matin à la clinique le médecin l'a examinée de nouveau, mais toujours rien. Le bébé bouge bien, pas la peine de s'alarmer pour quelques jours de retard, il arrivera quand il arrivera. Marie est repartie réconfortée à peine, c'est qu'il est lourd son ventre, si lourd. Elle a de plus en plus l'impression que sa peau va éclater sous le nombril tendu, elle a mal aux reins sans arrêt, elle marche douloureusement à tout petit pas. Elle lui en veut un peu à ce bébé du temps qu'il prend, mais il ne faut pas montrer sa lassitude. Elle n'a pas le droit. Pour l'enfant et pour Serge surtout, si loin là-bas, où tout peut arriver.

(...)