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certains éditeurs

Pour donner idée de ce qui attend le preux qui débarque dans l'innoncence qui était mienne à l'époque, voici d'abord la liste exhaustive de ceux qui ont reçu le Crafouill'scrit, avec la date d'envoi, la réponse de l'éditeur et sa date de réception :

éditions POL envoyé le 30/12/1998 refus le 7/08/1999
éditions du Seuil envoyé le 30/12/1998 refus le 9/02/1999
éditions Actes Sud envoyé le 4/01/1999 jamais de réponse
éditions Gallimard envoyé le 4/01/1999 refus le 18/02/1999
éditions les provinciales envoyé le 7/01/1999 accord le 9/01/1999
éditions Zulma envoyé le 9/02/1999 refus le 1/04/1999
éditions Bernard Grasset envoyé le 25/02/1999 refus le 13/03/1999
éditions de Minuit envoyé le 29/03/1999 refus le 7/05/1999
éditions Maurice Nadeau envoyé le 29/03/1999 refus le 25/06/1999
éditions de la différence envoyé le 29/03/1999 refus le 21/09/2000
éditions Christian Bourgois envoyé le 29/03/1999 refus le 13/04/1999
éditions Denoël envoyé le 10/12/1999 refus le 22/03/1999

On peut dire à gros traits qu'il y a trois types d'éditeurs là-dedans :

  • le gros, qui a plusieurs collections et des tas de lecteurs rémunérés. Il reçoit des milliers de manuscrits par an. En général c'est pas très utile de lui envoyer ton truc à l'improviste. Si t'as pas trois ou quatre parrains sérieux dans la Maison, si tu cibles pas tout exprès la collection stratégiquement idoine qui pourrait se pavaner de t'avoir découvert, si t'es pas au courant des coteries parisiennes et, surtout, si les coteries ne sont pas au courant de toi, l'éditeur le gros se refile ton manuscrit de service en service jusqu'à coincer celui qui se dévouera à te renvoyer la formule d'éconduissement, "malgré les qualités indéniables de votre texte et après une lecture attentive, nous sommes au regret de te dire qu'il ne correspond pas à la ligne éditoriale de nos collections, bonsoir". En gros, le gros si t'es mariole, tu peux encore lui faire le coup de recopier Les Misérables en griffonant ton blaze sur la jaquette à la place de celui de Victor, il ouvre même pas, il s'en fout. Il te rachètera quand tu auras fait tes preuves ailleurs. Regarde un peu ce que j'ai reçu du Seuil, par exemple :logoseuil
  • le moyen, dont la réputation souvent non usurpée de passion et de sérieux lui vaut de recevoir lui aussi par la poste des quantités invraisemblables de bouquins. Souvent, le ou les patrons de la boîte tiennent à parcourir ou lisent eux-mêmes tout ce qu'ils reçoivent, c'est effrayant, on se demande comment ils y arrivent. D'ailleurs souvent ils n'y arrivent pas. Dans le genre, j'ai reçu cette réponse magnifique de Christian Bourgois :signbourgois
  • le petit, qui peut te répondre oui au bout de deux jours, comme ça a été le cas des provinciales pour Crafouilli. Ou jamais, c'est beaucoup plus souvent le cas, par pure négligence, tout submergé qu'il peut être ou se la jouer sous les huit manuscrits qu'il reçoit par mois, ou par an. A ce propos, on peut saluer la performance des éditions de la différence qui, étant plutôt moyen que petit, m'ont répondu un an et demi après, alors que le livre était édité depuis 6 mois !

Mais puisque tu es encore là, revenons à l'histoire de la publication de Crafouilli.

Il a pu te paraître étonnant, si ta sagacité s'est exercée dès le tableau là haut, qu'ayant reçu accord de publication dès le 9 janvier 1999, j'ai continué ma pêche à l'éditeur jusqu'au mois de décembre suivant. Eh ! bien, aussi curieux que ça puisse paraître, ce fait est dû à celui-là même qui avait accepté mon livre : les éditions les provinciales.

C'est que les provinciales, comme beaucoup et plus encore que tous les petits éditeurs, est un type (oui, les provinciales, c'est en fait Olivier Véron) insensément scrupuleux. Il trouvait que Crafouilli méritait mieux que sa boutique, et il n'eut de cesse de vouloir que je trouve "mieux", alors que je ne cessais, moi, de lui répéter qu'il était forcément le mieux qui me convenait, vu qu'il avait adoré mon livre en deux temps trois mouvements, et que j'ai horreur d'avoir à tapiner à propos de ce que j'écris.

Mais Il avait pas confiance dans son aura, ce garçon, il me voulait belle sortie avec les tambours de la presse qu'il savait s'écarter avec insistance de tout ce qu'il publiait, il me voulait de la diffusion garantie, du succès ! T'en fais pas, je lui disais, je peux pas espérer meilleur défenseur que toi pour mon légendaire récit, c'est pas le succès que je cherche sinon j'écrirais des romans de gare, j'aurais pas mis 15 ans à fabriquer ce monstre langagier pas du tout dans l'esprit d'aucun temps...

J'avais juste juré d'attendre la réponse de P.O.L, qui me plaisait vraiment comme éditeur, mais Olivier Véron voulait que j'essaye des tas d'autres, alors pour lui faire plaisir j'ai continué à tenter de placer mon manuscrit, des fois à des éditeurs que je choisissais tout seul, des fois sur son conseil.

Il était tellement scrupuleux, qu'il a fini par envoyer lui-même les épreuves de mon bouquin à Olivier Rubinstein, avec une copie de la "recommandation" de POL et une très belle lettre où il proposait au directeur de Denoël de se départir des droits que je lui avais cédés si d'aventure mon chef d'œuvre intéressait ce monsieur. On a perdu encore tout un trimestre à attendre la réponse, Véron téléphonait tous les dix jours, il a même proposé une co-édition ! J't'en fous, le Rubinstein - qui se faisait surnommer Rimbaud dans ses jeunes années - comme il s'en tamponnait le bidet de la recommandation de P.O.L, de l'enthousiasme de Véron et de mon bouquin ! Au bout d'un trimestre et quelque de silence radio, il s'est juste fendu d'une lettre hautaine, le Rimbaud, pour expliquer qu'il voyait pas du tout ce que Crafouilli avait à faire dans la littérature d'aujourd'hui. J'ai failli en envoyer une copie à Céline, mais il était déjà mort.