mis en ligne le 11 février 2002 ce texte
fut longtemps la seule page de mon site
Je sais pas si vous êtes comme moi, je m'étais dit t'inquiète de rien, la propagande, la trouille bêtasse de plus savoir compter ses sous, t'as déjà su compter dans les monnaies des étrangers, partout où t'as été… J'avais pas trop de bas de laine à recycler non plus chez les aigrefins de la finance, les vendeurs d'épargne à déprécier, j'étais pépère, quoi... Prêt pour l'Euro en bonne et due forme. Je croyais...
Note, je regrette pas du tout d'avoir pas participé aux exercices, ces niaiseries partout pour te faire croire que ça serait facile – Voyons madame, entre une paire de concombres et un téléviseur écran large en home cinéma tout confort, lequel vaut plutôt 2,34 € à votre avis, que 1857 €, réfléchissez bien madame, bravo ! Je tu il nous saurons compter Euro… et ainsi de suite.
Non, franchement je regrette pas.
En plus, je me dis, si par hasard il y a eu trois nases pour suivre ces cours débiles, ils ont perdu un sacré temps, je suis sûr… Ils sont sûrement pas bien plus avancés que toi et moi... Surtout ahuris comme ils partaient, c'est pas les évaluations de bottes de persil et de rouleaux de pq qui vont avoir bien rattrapé leur handicap. A mon avis.
Note encore, j'y étais pas particulièrement attaché, à notre Franc, j'en avais pas la fierté spéciale, le sentiment national ligaturé à la monnaie. J'ai jamais été trop chauvin, et surtout pas du porte-monnaie, vu que j'aime pas bien l'argent de toute façon... Si c'est moi qu'on avait envoyé à Maastricht, j'aurais été capable, en fait d'Euro, d'abolir tout cru la monnaie, plutôt, de programmer la conversion en troc... histoire de faire penser sur la difficulté qu'il y a en vrai à savoir ce qui pour chacun vaut le plus, d'une laitue ou d'un aspirateur. Tu vois le genre. Je fais donc pas une fixation sur la monnaie perdue. Elle peut rester où on l'a mise. Mais…
Faut bien le reconnaître : on n'y comprend rien, à cette monnaie. RIEN. Pas dans le calcul, évidemment... On n'est pas forcément des génies de l'arithmétique, mais compter, on sait faire assez, sauf accident. Avec l'Euro, le problème est pas là.
Avec l'Euro, le problème, il est dans la valeur, celle qu'on a l'habitude de donner spontanément aux choses, depuis qu'on est tout petit, dans n'importe quelle monnaie de singe pourvu qu'elle ait été la nôtre. Un vrai système de références, qui fait que tu peux renifler à quatre lieux le type qui essaie de t'endoffer, ou la bonne affaire, en fromage, voiture, chambre à louer, n'importe quoi qu'on est bien obligé d'y mettre un chiffre dessus.
Pssscchiittt, envolé le gentil système ! l'Euro est là ! Tu lis des pages de pub à t'en faire péter les rondelles, mais si tu t'avoues, t'es pas foutu de savoir si le prix qu'on te vante pour acheter une Punto à Mimine c'est pas plutôt celui à payer pour une Mercédès ou un hélicoptère... Et regarde pas tes comptes, pauvre vieux, c'est encore pire : tu repères plus rien – les erreurs de virgules ou de centaines qui te sautaient aux yeux dans tes récap, tes notes de frais, tes relevés, tes comptes de résultats... Invisibles... C'est plus que de l'addition, l'euro !… des chiffres comme du blabla de chez Fogiel, "je sais compter, moi, parce que j'ai beaucoup évolué dans les sphères de l'intelligence, j'ai beaucoup mûri je crois, je suis heureux, je suis beau..." – Okay Julot, ça nous fait sûrement le nombril qui brille, ta sérénité de bazar, mais pour la performance, tu repasseras.
En plus, c'est une monnaie incalculable, il faut reconnaître. Une monnaie à poussières... Un élément constitutif de l'Euro, les poussières. Comme personne y comprend rien, on est tous là avec nos piécettes qui valent pas, dans nos échanges entre des zéro-un, zéro-deux, zéro-zéro-cinq, zéro-zéro-un… On y comprend plus rien, on dit : je l'ai payé tant d'euros, et des poussières
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Moi ma femme, on a quand même fait le calcul des poussières sur le prix de la baguette chez notre boulanger. On s'est rendu compte, après calculs et re-calculs, qu'on totalisait 21 Francs en poussières euro perdues par mois, depuis le passage. Rien que sur la baguette, tu t'imagines ? A mettre en parallèle avec les rodomontades et les comités de surveillance à Jospin-Fabius pour éviter les "glissements". Vingt et un balles de glissement rien que sur une baguette par jour !
Ceci dit, j'ai pas rapporté le cours de la poussière à ce que je gagnais personnellement par mois, depuis l'Euro… De toutes façons, je sais absolument plus ce que je gagne, maintenant... c'est réussi !... Mais n'étant pas commerçant, y'a de fortes chances pour que je gagne pas trop mieux qu'avant, et sûrement plutôt moins...
Sur le fond, je trouverais ça presque une bonne blague, si c'en était une : une monnaie de zob, qui durerait juste le temps qu'il faut pour qu'on se dématérialise un peu le rapport à l'argent... Pas une monnaie étrangère, la comparaison marche pas : quand j'ai vécu en lires ou pesetas, ou roubles, mon système de référence, ma valeur Franc, elle était encore là, derrière… Non, une vraie monnaie de zob, l'Euro, une échelle de rien, comme la taille d'une bite à jouir le con d'une femme.
en avril 2004, je cherchais des chaussures, et j'ai cru un moment que je m'étais fait du mouron pour rien. Dans les vitrines du centre de Lyon, vu les tarifs relevés pour les mocassins (240 à 426...), les sandales (125 à 320...) et les tongues en plastique (78...), je me suis dit "Tiens, ça c'est une bonne nouvelle ! Par décision unilatérale, les vendeurs de godasses sont repassés au Franc !"
J'avais pas bien saisi encore la réalité...