rubrique trophée

La séance

SR août 2006, prix Vénus de la nouvelle érotique 2007

Il est pas à moi ce sexe énorme, et pourtant.

Je me souviens plus trop comment ça a démarré, avant la séance. Elle était passée comment à mon bureau ? Pourquoi me voir, moi ? Peut-être un copain qui l'avait envoyée, je ne sais plus. Je me souviens juste des bretelles de sa petite robe bleu-ciel qui lui dégringolaient sans arrêt des épaules, et du soleil du soir qui l'éblouissait un peu. On se disait vous, c'est normal la première fois. Et puis ses dents, le grand espace entre ses incisives du haut qui donnait envie de croquer tout de suite son sourire. Elle voulait faire des photos, passer le concours pour entrer à l'école d'Arles. Moi j'étais le responsable de la communication du lieu culturel en vogue de la ville. Des collègues envieux plein les couloirs, des subordonnées à tous les étages, et des artistes qui me parlaient respectueusement pour essayer d'avoir un peu plus d'affiches dans les rues, un peu mieux de presse. Pour ce qui est des photos, c'est sûr que c'est elle qui en a parlé la première. Je sais plus comment pourquoi c'est allé si vite.

Juste un peu de gêne au début. Elle est arrivée à la maison trois jours plus tard avec son appareil et quelques objectifs, on était tout à fait d'accord pour la séance mais je suppose qu'on était aussi novice l'un que l'autre. On a parlé un peu, je lui ai servi un sirop… Elle était là avec son matériel et je tremblais un peu, elle aussi, les silences étaient de plus en plus longs, je crois. C'est moi qui lui ai proposé d'agencer le décor du salon, mon grand bureau en bois au milieu, un miroir posé contre un mur derrière, la chaise en paille, un tabouret, deux mandarines pour l'éclairage. J'avais le souffle court, j'ai dit qu'on allait y aller maintenant, elle a dit oui d'un ton rassurant.

J'ai déboutonné ma chemise, je l'ai enlevée avec le moins de gêne possible. J'étais pieds nus depuis le début, elle a dit :

- Si tu veux, on peut déjà en faire une ou deux comme ça, pour se détendre un peu ?

- Oui.

Elle m'a fait asseoir sur le plateau du bureau, les pieds ballants, et elle a shooté deux trois fois en contre-plongée. On a varié la pose, encore deux trois clichés, je voyais ses doigts fins jouer avec les bagues, les boutons.

- Tu te sens bien ?

- Oui, c'est bon maintenant.

J'ai dégrafé mon pantalon, descendu ma braguette. Face à elle (ça me semblait plus naturel). En descendant mon pantalon, quand mon sexe s'est dégagé, j'ai senti que je bandais un peu et tout mon corps s'est mis à trembler, je ne savais plus comment contenir tout ça, mon sang qui refluait du corps et qui allait tout droit se jeter dans mon sexe. J'avais envie de lui demander pardon, je l'ai regardée, elle a cherché un peu quoi dire, son sourire, ses dents, elle a fini par trouver :

- C'est rien, si tu veux on va commencer… par la fin.

Elle rougissait et moi j'essayais de trouver une contenance, elle s'est remise à viser, enclencher la pellicule, je mettais vaguement ma main devant ma turgescence, elle m'a shooté comme ça une ou deux fois, empoigne-le carrément, elle a dit. Une goutte de rosée s'est mise à perler au rebord du méat, j'ai serré mon membre et décalotté l'ai offert obscènement à l'objectif… ma gêne se muait en rut, mais j'étais tellement dedans que je ne m'en rendais pas compte.

- Vas-y, déhanche-toi… encore un shoot, un autre… tourne-toi un peu, laisse ta main sur ton sexe… shoot… pose un pied sur le tabouret… elle dansait autour de moi, changeait d'objectif… redresse-toi… penche-toi… penche-toi encore… prends tes fesses, maintenant, tes deux mains sur tes fesses… attends ! … il faut que je change la pellicule…

Elle a ouvert l'appareil sur le bureau… "Je pense pas que ces photos seront très utiles pour mon dossier, mais c'est bien de les faire"… Elle évitait de me regarder… "Et toi, ça va ?" – Même plus la force d'autre qu'un râle pour acquiescer, ma trique affolante qui fait mal… Elle referme vite l'appareil en riant, en fait, on est meilleurs que des pros, elle a déjà l'œil au viseur,

- Mets-toi devant la glace maintenant… Elle cherche un angle, amène la mandarine tout près de moi j'en sens la brûlure sur le bas de mon dos… approche-toi du miroir, fais comme si tu te branlais pour toi… je regarde ma tige dans la glace, le gland cramoisi, brillant… je me branle devant moi, mes reins se tendent, mes fesses ont envie de s'ouvrir à mon index mais je n'ose pas… Pas si vite, quand même ! J'ai pas une caméra… J'ai dû émettre un râle, mon sang brûle et tous mes liquides ont envie de jaillir… Tu… Tu veux jouir ? elle demande soudain en serrant la gorge…

Elle a posé une main sur mon pied gauche et replié ses doigts sur mes orteils quand le sperme a commencé de gicler, plein le miroir, dégoulinant sur la moquette. Plus de photos. J'entends encore mon cri et sa main qui serrait les doigts de mes pieds. Et ma honte qui à nouveau revenait remplissait en moi comme un vase communicant tout ce que la jouissance vidait de moi. Elle restait silencieuse, accroupie près de mes jambes, sa main desserrait lentement son étreinte pendant que je tirais mes dernières gouttes. Une minute encore, sans bouger sans rien dire… Sans perdre ma peau, lentement, elle m'a caressé la cheville, le mollet, le genou et frôlé la cuisse. Sans cette tendresse innée la gêne aurait arrêté là la séance.

- Excuse-moi, j'ai fini par murmurer.

- J'ai pas à t'excuser, c'est moi qui t'ai demandé… On va essuyer, maintenant, et puis on sera plus tranquille pour les autres photos, on pourra les poser.

Les photos sont là, devant moi. Nos corps nus offerts pour l'éternité au resurgissement incomplet de nos mémoires, nos regards extatiques ou pervers selon les ponctuations de la séance, les poussées effrénées du désir, les jeux. Un couteau à pain entre ses seins, une poupée désarticulée plaquée contre ma poitrine, un pied flouté, sa silhouette de dos sur le siège de paille, la chair de ses fesses imprimée par la paille, nos corps emmêlés dans des simulations de bagarre, la giclée de sperme qui s'était écoulée sur son dos et que nous tentions de transformer en lait, mon vié épuisé sous son prépuce luisant d'écailles. Elle a été reçue seconde à son concours d'entrée. Il n'y a pas eu d'autre séance et celle-ci n'a jamais eu cours que par les photos qui la retiennent et qui la retenaient de toute éternité. Il a jamais été à moi cet énorme sexe, il est à elle.

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ce texte a été mis en ligne sur le site de la Vénus Littéraire en juin 2007 (voir aussi les annotations du jury)